Une difficulté didactique récurrente : les schémas

En classe, les élèves doivent régulièrement produire des schémas. Ceux-ci sont de puissants outils pour la compréhension des sciences. Mais en fait que met-on derrière ce mot ? S’agit-il d’un dessin ? d’un croquis ? d’un modèle ? 

Une première difficulté concerne la polysémie de ce mot : souvent, en sciences, nous ne cherchons pas à reproduire le réel mais plutôt à le comprendre. Pour cela, il faut abandonner certains détails impertinents. Ainsi, l’enjeu pour les élèves n’est pas de reproduire fidèlement ce qui est vu mais plutôt de chercher à montrer l’essentiel, montrer ce qui est pertinent au regard des savoirs travaillés. De nouveau, cette difficulté est une sorte de malentendu.

 Figures : à gauche, l’élève a reporté des détails esthétiques peu pertinents pour l’étude du thermomètre ; à droite, l’élève s’est concentré sur certains aspects davantage pertinents.

Une autre difficulté concerne les conventions qui sont liées aux schémas : icônes, flèches, annotations, perspective 3D, couleurs, etc. Ces conventions ne vont pas de soi ; c’est ce que certains appellent le processus d’abstraction. 

Figures : ces schémas de circuits électriques ne montrent pas ce qui est « vu » par les élèves. Il en va de même pour les schémas d’autres contextes : le sang faiblement oxygéné n’est pas réellement bleu ; l’eau chaude n’est pas réellement rouge ; etc.  

Quoi qu’il en soit, cette seconde difficulté n’est pas très différente de la première : de nouveau, il s’agit de se concentrer sur les aspects les plus pertinents des tâches. Elle demande en plus de réfléchir au système de codes qui est partagé par les élèves de la classe.

De manière générale, il est bon de se demander ce que l’on cherche à faire avec un schéma : s’agit-il de montrer quelque chose (décrire) ? S’agit de développer une explication ? Ou même d’utiliser le schéma comme point d’appui pour faire évoluer les conceptions des élèves ?

Extrait de la brochure « Faut pas pousser »

Le schéma comme appui pour faire évoluer les conceptions

Les figures montrent deux des affiches des groupes en réponse à la question : « Comment ce que j’ai mangé peut-il me donner des forces ? » à laquelle ils devaient répondre par un schéma et un texte. Le schéma met en évidence des fonctionnements et des structures que les élèves vont pouvoir discuter. La transcription ci-dessous montre cela :

Exemples au sujet de la nutrition humaine ; extraits aménagés issus du livre de Christian Orange (2012) Enseigner les sciences, De Boeck. 

Juliette : [elle lit l’affiche] Voilà ce que nous pensons. Le hamburger et les frites descendent dans un tuyau appelé l’œsophage vers l’estomac. Après, certaines nourritures descendent dans le tuyau des excréments. Les autres… les autres partiront dans des tuyaux vers les muscles.
Amaury : [commente l’affiche en montrant du doigt] On a dessiné des frites. En fait les frites descendent là [montre l’oesophage jusqu’à l’estomac] dans l’estomac… là, là…
Adrien : Vous n’avez fait aucun organe. Vous n’avez mis que l’estomac
Auberi : Dans votre dessin, il y a quelque chose de bizarre parce que tu vois il y a un tuyau de l’œsophage et puis… Et puis il y a un truc qui va par là et l’autre par là. Mais on ne sait pas qu’est-ce qui va là exactement. On dirait que tout va d’un côté et ça va de l’autre. C’est comme ça, ça fait bizarre. [Elle va au tableau près de l’affiche ; elle explique en montrant l’affiche] Vous avez tout dessiné mais c’est un peu bizarre parce qu’on croirait qu’ici ça va dans les muscles [montre le tuyau vers le bas] et là… dans le muscle aussi [montre les tuyaux sur le côté].
Steven : Déjà c’est dans l’estomac déjà ça se broie. Et ils ne disent pas que c’est une partie des aliments qu’on mange qui… qui partent dans les muscles.
Steven : Oui mais il faut déjà que ça se trie
Clément : Les excréments là [montre de loin le schéma] ça tombe n’importe comment. Il y a des vitamines qui tombent dedans… Non mais là, ça se mélange et puis ça … partout … excréments.
Enseignant : Qu’est-ce que vous pensez de cette idée de tri dont parle Steven ?
Amaury : C’est peut-être pas mal comme idée.
Clément : Je trouve que c’est vrai ce que dit Steven, y a pas de tri ni rien. C’est comme si tout partait n’importe comment. Y avait des vitamines qui partaient avec des excréments.

Nous le voyons, c’est parce que les élèves ont produit des schémas que d’autres élèves vont pouvoir faire fonctionner mentalement des explications. Ils argumentent pour ces explications ou contre mais dans tous les cas, ils construisent des conceptions à mesure qu’ils soulèvent une série de controverses ponctuelles ou des fonctionnements impossibles.

Face à ces difficultés, l’enseignant joue un rôle important puisqu’il doit attirer l’attention sur la fonction des schémas produits ou utilisés (conserver les traits pertinents d’un phénomène étudié), les conventions en jeu dans ces schémas, et mettre en œuvre des situations dans lesquelles les élèves vont pouvoir produire et confronter leurs schémas. Mais nous l’avons vu avec le dernier exemple, c’est aussi par ce jeu de confrontation que les élèves peuvent construire des conceptions. 


Quelques pistes pour familiariser dès l’enseignement fondamental les élèves à la lecture de schémas scientifiques.

Ces deux séquences sont l’occasion de travailler les difficultés de lecture des schémas / l’abstraction dans les schémas. Il s’agit:

  • de montrer que le terme de schéma est polysémique. L’enjeu est alors de ne plus chercher à reproduire fidèlement ce qui est vu mais plutôt de chercher à montrer ce qui est pertinent au regard des savoirs travaillés.
  • d’alerter sur le fait que les schémas comportent des conventions variées : icônes, flèches, annotations, perspective 3D, couleurs, etc. Ces conventions ne vont pas de soi. De nouveau, l’enjeu est se concentrer sur les aspects les plus pertinents des tâches.
  • de montrer que les schémas, comme toutes traces, peuvent constituer des appuis pour l’évolution des conceptions, selon un résultat des didactiques désormais bien établi.

Par exemple, dans la séquence sur la reproduction humaine et l’éducation à la sexualité, dans le groupe classe observé, les élèves vont tous trouver une porte d’entrée ; certains voient sur le schéma le cordon, d’autres la poche d’eau, d’autres l’estomac de la maman, d’autres remarquent le bébé tête en bas comme la sage–femme l’a mimé, etc., et l’enseignante s’appuie sur cette entrée pour faire ressortir d’autres éléments signifiants dans l’illustration en ramenant l’élève dans les éléments théoriques construits préalablement.