Avec l’émergence de questions par les élèves ainsi que de leurs représentations, c’est à présent l’occasion de les travailler et/ou de les confronter.
Le débat qui peut être initié ne doit pas mettre trop vite tous les élèves d’accord : la modélisation des phénomènes et leurs connexions (bref, l’ébauche de cycle de l’eau) permet de dégager les points de controverse sur lesquels l’investigation va porter. Puis, l’avancée dans l’investigation peut se faire à travers une recherche documentaire, la manipulation de maquettes ou de simulations numériques choisies en fonction des conceptions à travailler. En effet, dans cette optique, il est pertinent de diriger la séquence selon les questions qu’ont vos élèves et/ou les conceptions à dépasser. Par exemple, dans la classe où cette séquence a été testée, de nombreux élèves semblent penser que l’eau du home-potager en classe provient… des nuages !
Une occasion en or de questionner la provenance de l’eau et de voir si elle est liée à l’activité humaine.


Il paraît essentiel de réaliser cette partie tout en tenant compte des objectifs de la fin de la séquence et des questions, représentations qui ont émergé chez vos élèves. À quoi bon faire en sorte que les élèves se questionnent si ce n’est pas ensuite utilisé ?
Pour rappel, les notions vues par cette séquence sont les suivantes : le cycle NATUREL de l’eau et ses étapes, le cycle ANTHROPIQUE de l’eau, la différence entre eau limpide & eau potable, quelques éléments théoriques sur notre consommation, les technologies liées à la captation de l’eau potable ou à l’épuration de les eaux usées ainsi que les états de l’eau.
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- Le cycle naturel de l’eau : une fausse facilité
- Le problème avec les “schémas”
- Construire le cycle naturel de l’eau avec ses élèves
- Corriger les maquettes avec des aides théoriques
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1. Le cycle naturel de l’eau : une fausse facilité
Le schéma le plus connu et classique est le suivant :
La quantité d’eau est constante. Un partie de celle-ci s’évapore “forcément” des océans et des lacs (et apparemment uniquement là), pour se condenser systématiquement au niveau des hauteurs, près d’une montagne pour la plupart des schémas, pour ensuite ruisseler à nouveau vers les océans ou les lacs, se glissant au passage (en partie) dans les nappes souterraines. Ajoutons aussi la présence de glaciers en altitude, leurs fontes, le ruissellement et l’infiltration de cette eau dans les sols ; la reconstitution du glacier chaque année n’est que rarement représentée.
Ce genre de schéma semble complet en lui-même, sans défauts, puisque parfaitement cyclique.
Pour rafraîchir nos connaissances sur les étapes du cycle de l’eau, consultez notre dossier !
Pourtant, lorsque nous confrontons ce cycle “infaillible” à d’autres schémas existants, il nous apparaît plus clairement que certains facteurs ne sont pas pris en compte.
Ici, le nouveau schéma met en lumière que ce ne sont pas seulement les nappes phréatiques, ou les glaciers, qui retiennent l’eau, mais également l’intervention humaine, et ce, à plusieurs échelles. Les bocages et leurs restaurations dans l’agriculture permettent maintenant d’augmenter les zones humides qui sont bénéfiques à l’infiltration de l’eau dans les sols (et donc au renouvellement des nappes), il en va de même pour le boisement, etc. Des méthodes qui permettent d’éviter un ruissellement trop excessif des eaux de pluie, ce qui pourrait conduire à diverses catastrophes, comme les inondations (OIEau, 2020).

Le schéma suivant, pose lui aussi la question de l’activité humaine et de son importance dans la gestion de l’eau : sa captation, son épuration, sa distribution, ainsi que son rejet. Il nous apparaît alors qu’une partie du cycle que nous expérimentons tous les jours en ouvrant le robinet est occultée.
Et c’est bien là le problème des schémas classiques du cycle de l’eau : celui nie totalement l’intervention de l’homme pourtant importante, ainsi que notre dépendance par rapport à l’eau (UdR, OSUR, 2019).
Car si les schémas classiques indiquent les “origines” de l’eau et son déplacement, où est-il indiqué que nous parlons bien d’eau salée (les océans) ou d’eau potable ? À quel moment s’opère la transition entre les deux ? Et pourquoi cette différenciation ne serait-elle pas importante pour les élèves ?

Nous avons une consommation de moyenne de 95 litres d’eau potable par jour en Belgique (presque 100 L pour l’habitant de Bruxelles). À cela peut-être ajouté les usages collectifs comme ceux faits par les industries. À un niveau plus global : l’eau de plus de la moitié des rivières du monde entier est prélevée par l’humain.
Pourquoi cette consommation ne figure-t-elle pas dans le cycle de l’eau ?
Nos représentations actuelles restent prisonnières d’une vision exclusivement ʺnaturelleʺ du cycle de l’eau, héritée du XVIIe siècle, particulièrement inadaptée pour penser la résolution des crises majeures qui pèsent sur nos ressources à l’ère de l’anthropocène1.
Jean Marçais, ingénieur-chercheur en hydrologie.
Et en effet, si les schémas que nous construisons avec nos élèves n’incluent pas l’impact de l’Humain, ne manque-t-il pas une partie des données pour qu’ils acquièrent une conscience citoyenne ? Comment espérer qu’ils se représentent les enjeux d’aujourd’hui autour de cette ressource essentielle à notre survie ?
Le cycle de l’eau comme nous le connaissons, stéréotypé, nous donne l’illusion de la sécurité (UdR, OSUR, 2019). L’illusion que notre consommation et notre gestion de l’eau, à notre échelle et à échelle industrielle, ne possède aucun impact, puisqu’elle n’est pas représentée.
Comment donc parvenir à une représentation plus réaliste du cycle de l’eau avec nos élèves ?
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1 Anthropocène : ère géologique encore non-reconnue officiellement, débutant dès 1850 (début de la révolution industrielle) jusqu’à nos jours. Celle-ci est caractérisée par l’impact de l’Humain sur son environnement et la transformation durable qu’il réalise sur celui-ci. Le terme “ère” est ici utilisé pour faire référence à un temps long. Une ère se divise en “période”, qui elle-même se divise en “époque”, elle-même divisée en plusieurs “âges”.
2. Le problème avec les « schémas »
Aucun schéma n’est parfait. Nous pouvons tenter d’établir avec nos élèves le schéma le plus complet, le plus rigoureux, le plus scientifique possible, certes. Pour autant, il existera toujours une partie de la réalité qui est occultée ; il en va de la lisibilité du schéma. Ainsi se constitue le fondement de la démarche scientifique : nous choisissons d’observer certains facteurs, avec un cadre théorique déterminé. Il en va de même pour le schéma qui se veut scientifique : nous choisissons les critères que nous voulons mettre en valeur, qui sont importants pour mettre en lumière tel ou tel phénomène.
La démarche scientifique demande à être lucide sur les choix qui sont faits et d’en tenir compte dans les interprétations tirées pendant et à l’issue de la démarche.
De par sa nature, le schéma simplifie la réalité. Il nous faut donc avoir conscience, autant enseignant qu’élève, que nous réalisons un choix de représentation. Par conséquent, nous délaissons systématiquement d’autres critères, et il convient de le rappeler et d’en tenir compte.
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Il nous faut alors être honnête dans notre critique du schéma du “cycle de l’eau”. Le schéma classique comme nous le connaissons tous : est-il mauvais ? Non. Car, il choisit de représenter un certain aspect du cycle de l’eau. L’erreur est bien dans sa labellisation : nous pensons qu’il s’agit là de la représentation d’un cycle qui prend tous les facteurs en compte ; que c’est un schéma qui décrit la réalité sans la trahir, telle qu’elle est. Or, le schéma classique du cycle est bien celui du “cycle naturel de l’eau” avec des simplifications nécessaires mais qui ne vont pas de soi pour les lecteurs, élèves comme adultes.
Nous pouvons faire prendre conscience aux élèves des choix opérés lors de la réalisation de schémas : Que souhaitons-nous représenter ?
Mettre en comparaison plusieurs schémas avec le bon intitulé est souvent un moyen de se rendre compte des limites et des choix de représentations, comme dans la première partie de ce dossier. Cependant, il existe également d’autres moyens de questionner les élèves.

Ci-contre, trois représentations du cycle de l’eau (Odum, 1975, p.102) : Une « réaliste », une compartimentale et une algébrique.
Dans la seconde représentation, les flèches vers le bas désignent des pertes d’énergie. Car c’est bien le Soleil qui active l’ensemble du cycle et non un “ordre naturel” quelconque.
3. Construire le Cycle naturel de l’eau avec ses élèves
Sur base des introductions proposées, les élèves peuvent maintenant s’emparer du cycle naturel de l’eau.
En classe, deux maquettes identiques ont été proposées. Les élèves avaient pour tâche de sélectionner et partager les différents éléments des maquettes pour pouvoir réaliser le cycle naturel de l’eau.
La maquette met à disposition ces éléments amovibles : les mots-clés évaporation, précipitations, infiltration et condensation, des nuages, des gouttes de pluies. Notons ici l’absence de flèche pour déjà déconstruire cette notion de cycle qui se passe toujours selon les mêmes modalités.

Après avoir laissé les élèves débattre pendant une dizaine de minute, un résultat apparaît clairement :
Les deux groupes positionnent facilement le terme “infiltration” au niveau du sol et “précipitations” au niveau des gouttes de pluie. Ils placent cependant plus difficilement condensation et évaporation; les positionnant au même niveau sur la maquette (au milieu de celle-ci).

L’objectif de la maquette apparaît alors plus clairement : il ne s’agit pas de fixer le cycle de l’eau chez les élèves, car nous savons maintenant qu’il est insuffisant.
L’objectif est de repérer où les élèves ont des difficultés de compréhension. Dans ce cas, s’ils n’arrivent pas à placer condensation et évaporation aux bons endroits, c’est bien qu’il existe là une incertitude théorique.
Les notions de condensation, mais en particulier d’évaporation ne sont pas faciles à expliquer. Et c’est pourquoi nous proposons plusieurs ressources pour aider vos élèves à eux-mêmes corriger leurs maquettes respectives.
3. Corriger les maquettes avec des aides théoriques et/ou des expériences
La théorie reste toujours un élément essentiel qui vous permettra de repérer exactement ce que les élèves ont déjà compris et le chemin qu’il reste à faire avec eux. Pour ce faire, nous avons à disposition un dossier théorique qui reprend les essentiels pour les enseignants.
Avec les élèves, il est possible de passer par des expériences, ou des apports théoriques sous forme de vidéos, ou les deux ! Dans tous les cas, il s’agit moins d’opposer un savoir “vrai” extérieur à la classe que de permettre aux élèves de trouver une réponse à une question ; cette question pouvant naître d’une incertitude, une controverse, un besoin de réponse.
A. La condensation

1. De l’eau à température ambiante est placée dans le contenant.
2. Le contenant est recouvert de film plastique.
3. Des glaçons sont apposés sur la surface du film, afin de mimiquer le froid que l’on retrouve en altitude.
4. Observer la condensation se former sur le film plastique et en haut de la parois (là où la température est la plus basse).

1. Prétendre ne pas connaître le contenu de la vidéo (sortir de la classe lors de son passage, mettre des écouteurs, etc). Les élèves devront vous ré-expliquer avec leurs mots ce qu’ils ont compris.
2. Les laisser visionner le passage sur la condensation.
3. Tenter de re-former l’explication de la condensation à travers le discours de vos élèves en leur posant des questions : “Comment les gouttes se forment-elles ? Pourquoi en altitude ? Pourquoi les nuages se forment-ils et pas directement les gouttes de pluie ?”
B. L’évaporation
L’évaporation implique la présence d’une source de chaleur. Le plus difficile étant que les élèves se rendent compte du changement d’état [lien vers théorie] de l’eau.

Nous vous conseillons le dossier “Sciences en Cadence” n°12, avec l’activité du torchon.

1. Prétendre ne pas connaître le contenu de la vidéo (sortir de la classe lors de son passage, mettre des écouteurs, etc). Les élèves devront vous ré-expliquer avec leurs mots ce qu’ils ont compris.
2. Les laisser visionner le passage sur l’évaporation.
3. Tenter de re-former l’explication de la condensation à travers le discours de vos élèves en leur posant des questions : Où l’eau disparaît-elle ? Quelle forme prend-t-elle ? Quelle est la différence entre l’eau qui s’évapore de la casserole où l’on cuit les pâtes et l’eau qui s’évapore de la cour les jours de beau temps (alors qu’elle ne bout pas) ?
Corriger sa propre maquette
Suite à ces expériences, ou aux passages vidéos que les élèves ont dû réexpliquer avec leurs propres mots, les élèves reprennent leurs maquettes respectives et y apportent les corrections qu’ils jugent nécessaires. Il pourra être important à certains moments de rappeler, voire d’imposer la consigne aux élèves qu’une accumulation dans un réservoir (au sens large : atmosphère, hydrosphère, lithosphère) n’est pas possible.
Encore une fois, nous évitons ici tout type de flèche pour tenter d’éviter l’idée d’un cycle de l’eau “trop cyclique”, linéaire et unique, et ainsi introduire plus facilement la présence de l’Humain au sein de ce réseau.

De là, vous pouvez rappelez à vos élèves les hypothèses qu’ils avaient amenées précédemment durant l’introduction de la séquence.
Effectivement : le cycle de l’eau semble incomplet. Ce qui nous amène à travailler l’impact humain et à construire un réseau de l’eau plus réaliste.