Focus n°1 : Les limites de la pyramide alimentaire

Dans la plupart des cahiers de sciences apparait ce qui est communément appelé la pyramide alimentaire (figure1). C’est à partir des années 1990 que cette représentation se diffuse à grande échelle. L’objectif était de visualiser des principes directeurs en matière d’alimentation. Depuis, différentes pyramides ont été produites (des exemples seront présentés ci-dessous).

Exemple de l’usage d’une pyramide alimentaire dans un cahier de sciences

La pyramide (figure 1) a été repérée dans une classe de 2e primaire d’une école située à Bruxelles. L’enseignante raconte : « c’est parti d’une discussion autour des collations des élèves ». La volonté de l’enseignante était de « sensibiliser les élèves à une alimentation saine et variée » en favorisant « des collations moins sucrées ». L’enseignante a distribué cette pyramide alimentaire que les élèves collent au cahier et ensemble ils nomment les différentes catégories d’aliments. La phrase « Plus c’est grand, plus mon corps en a besoin » indique aux élèves les aliments qui doivent être favorisés à chaque repas ; ici les aliments situés à la base de la pyramide.

Figure 1 : Photographie d’une pyramide alimentaire : cahier d’un élève d’une classe de 2ème primaire (Bruxelles, 2022).

À partir de cette pyramide alimentaire, les collations jugées « saines » sont classées en 3 catégories : fruits et légumes/céréales et dérivés/produits laitiers (figure 2). Un panneau est réalisé et affiché à l’entrée de la classe : à chaque jour de la semaine (scolaire) des exemples de collations d’une catégorie sont proposés : le lundi des produits laitiers, le mardi un fruit, etc.

Figure 2 : Photographie d’une classification de collations : cahier d’un élève d’une classe de 2ème primaire, (Bruxelles, 2022).

Les limites de la pyramide alimentaire

Ce type d’activité est couramment observé dans les classes : l’enseignant utilise le quotidien des élèves pour aborder une question liée au programme de sciences. Il n’y a pourtant aucune question scientifique associée à cette activité. Il s’agit plutôt d’utiliser une représentation commune reconnue de tous pour encourager un certain comportement alimentaire. Or, ce type de représentation schématique a provoqué et provoque encore des débats dans le monde scientifique. Des recherches en didactiques des sciences (Kovacs & Orange-Ravachol, 2015 ; Orange-Ravachol, Kovacs & Orange, 2018 ; Kovacs & Orange-Ravachol, 2021) ont mis en évidence les limites de l’utilisation ces pyramides dans le cadre de l’enseignement.

Une première limite : l’absence de confrontation de différentes pyramides alimentaires

Souvent, seul un modèle est présenté aux élèves. La pyramide la plus présente dans les cahiers de traces des élèves est composée d’environ 6 paliers, comme pour celle du cahier de sciences présenté ci-dessus (figure 1) : « l’eau » se trouvant à la base et les « produits dits sucrés » apparaissant au sommet de la pyramide. Or, il existe d’autres représentations de pyramides alimentaires (figures 3, 4, 5) qui expriment différentes manières d’envisager l’équilibre alimentaire. Dès lors, il serait intéressant d’amener les élèves à avoir un regard critique en s’interrogeant sur la construction de ces pyramides et les divergences dans ces prescriptions. Il est intéressant aussi d’évoquer avec les élèves les auteurs du document et les éventuels liens avec les informations qu’il véhicule.

Figure 3 : Pyramides alimentaires : versions de 1992 et 2003 montrant une évolution dans la construction de la pyramide. Schéma de P. Bourlito paru sur le site Débats Science Société en 2004 : http://www.debats-science-societe.net/breves/2004/02/02.html.
Figure 4 : Pyramide alimentaire réalisée par le magazine Food in Action (2011) indiquant la fréquence de consommation des différents aliments. Schéma paru sur le site du magazine Food In Action (ND) : https://www.foodinaction.com/telechargez-pyramide-alimentaire/.
Figure 5 : Pyramide alimentaire réalisée par l’union internationale des sciences de la nutrition –FINUT- (2014) intégrant d’autres aspects liés à la nutrition (salaire, etc.). Accès : https://www.researchgate.net/figure/Food-and-nutrition-face-of-the-Iberoamerican-Nutrition-Foundation-FINUT-pyramid-of_fig4_262342548.

Une deuxième limite : la catégorisation des aliments

Souvent, une catégorie « fruits et légumes » apparait sur les représentations des pyramides alimentaires. Cette distinction est courante dans le langage commun, elle appartient au registre du langage culinaire : les légumes étant les végétaux qui se mangent le plus souvent en plat salé et les fruits en plat sucré. Une distinction sera nécessaire par rapport au langage du cours de sciences (le vocabulaire du botaniste) qui associera l’aliment végétal plutôt à la partie de la plante à laquelle il correspond : la carotte est une racine ; la tomate et le poivron sont des fruits. Dès le début de l’enseignement primaire, voire avant encore, les élèves pourront apprendre à identifier et distinguer ces éléments (le fruit, la feuille, la racine, etc.). Une distinction des registres de langage, « culinaire » dans la pyramide, « botaniste » au cours de sciences, sera donc nécessaire pour éviter les malentendus d’apprentissage (au sens de Goigoux, 1998).

Il est également important de s’interroger sur le système de catégorisation qui est à l’œuvre dans pour les aliments : « catégoriser c’est considérer de manière équivalente des objets, des personnes ou des situations qui partagent des caractéristiques communes (Cèbe, 2014/2015)». Il existe des avantages à l’utilisation d’un système de catégorisation, mais il est nécessaire d’aborder les critères ayant conduit à la construction des catégories et de pouvoir nuancer les différents éléments qui les composent.

Certaines pyramides ont aussi été modifiées dans le temps : il est dès lors possible d’observer certains déplacements, par exemple la revalorisation des huiles végétales (figure 3). D’autres auteurs ont accompagné leur pyramide (figure 4) d’un document qui guide la lecture des éléments présents dans chacune des catégories.

Une troisième limite : une prescription qui fait l’impasse sur la réflexion

Le plus souvent, les activités liées à l’alimentation visent à « éduquer » par l’adoption de comportements jugés sains et « bons » pour la santé. Comme nous l’avons dit plus haut, la pyramide sera alors utilisée comme référence non questionnée. De plus, le rapport d’équilibre qu’elle véhicule est souvent présenté à l’école comme s’appliquant à chaque repas. Or, cette pyramide est sensée refléter l’équilibre d’une alimentation sur un temps largement plus long. Si cette durée d’application n’est jamais clairement définie, elle est sous-entendue. Appliquer cette prescription à chaque repas relève donc d’un non-sens, d’un idéal à questionner qui par son caractère non applicable en devient contreproductif en matière éducative.

Enfin, un regard critique peut être porté sur les apports annoncés de certains aliments.

Lors d’une sortie scolaire, une élève compare sa boisson (jus de fruits issu de l’industrie) avec celle de l’enseignante (oranges fraiches pressées le matin). L’élève manifeste (auprès de ses camarades) assez fièrement boire la même boisson que l’enseignante. Cette dernière reprend l’élève et sur un ton assez enjoué dit « c’est un jus de fruits frais […] c’est plein de bonnes vitamines » et elle explique à l’élève que tous les matins elle presse des oranges et boit un jus de fruits frais. Elle insiste sur l’importance de commencer la journée avec un « bon petit déjeuner ».
Issu d’un échange récolté lors d’une observation d’une classe de la province de Liège, 2022.

Le jus d’orange (et par extension l’orange[1]) est donc présenté par l’enseignante comme un « super aliment », celui qui va donner des vitamines au corps. Cette mise en avant de « super aliments » n’est pas un cas isolé. On le retrouve régulièrement au niveau des pyramides alimentaires principalement au niveau des fruits comme c’est le cas pour la première pyramide (figure 1) : ainsi, on aperçoit la lettre « C » sur la représentation de la pomme et la lettre « A » sur la représentation de la carotte. C’est là manière d’encourager une consommation importante de ces aliments. Les vitamines sont souvent perçues comme des nutriments « magiques » qui garantiraient une bonne santé, une meilleure résistance aux maladies, une certaine vitalité et surtout un élément qui donne de l’énergie. Pour comprendre pleinement le rôle des vitamines et leur éviter le statut d’aliment magique, il serait intéressant d’aborder l’alimentation, en général, dans une recherche plus ambitieuse qui vise à comprendre le métabolisme et à détailler les différentes molécules qui composent les aliments : les glucides, les lipides, les protides, les fibres et les vitamines.

L’ASBL Hypothèse a réalisé une séquence autour du rôle de l’alimentation. La présentation de cette séquence permet aux enseignant de suivre pas à pas une démarche scientifique. Cette démarche pourrait être complétée par un regard critique sur les aliments que nous mangeons.

Une quatrième limite : l’exclusion d’autres aspects qui influencent l’alimentation

Nous sommes constamment guidés, conseillés, stimulés, mis en garde sur notre alimentation : concours culinaires omniprésents sur les écrans de télévisions ; publicité indiquant des recommandations telles que « ne pas manger trop gras, trop salé, trop sucré » ; Nutriscore appliqué sur l’emballage des aliments en grandes surface ; développement de mouvements tel que le slow-food en réaction au fast-food ; développement d’applications mobiles permettant de contrôler son alimentation ; diffusion sur les réseaux sociaux de recettes adaptées à différentes habitudes alimentaires (sans gluten, végétarien, végétalien, paléo, etc.) ; services proposant la livraison de plats préparés à domicile ou de boxes contenants l’ensemble des aliments nécessaires à une recette précise ; vente d’appareils ménagers qui aident à la préparation de plats (ex : appareil permettant de faire de la soupe) ; etc.

Par extension, on retrouve à l’école une initiation et une promotion d’une approche nutritionnelle jugée « équilibrée » basée sur une mise en avant de produits dits : biologiques, locaux, sains ou encore durables. Les actions menées dans les écoles telles que les propositions de collations (figure 2), les collaborations avec des producteurs locaux pour fournir des produits alimentaires à l’école ou encore l’organisation de journées de sensibilisation pour « manger sainement » mettent en évidence une approche directive et omniprésente à l’école : « l’éducation à (l’alimentation). » L’intention est certes louable, mais cela suppose un profil de consommateurs semblables. Or, les choix des consommateurs sont parfois très différents les uns des autres et ils sont basés sur différents critères : l’aspect social, l’aspect économique et l’aspect environnemental. Ce faisant, il ne va pas de soi d’imposer un profil en particulier.

Figure 6 : Schéma montrant différents aspects qui influencent le comportement alimentaire des individus. Accès : https://www.researchgate.net/figure/Les-grands-determinants-du-comportement-alimentaire-C_fig2_344808585

Comme le schéma le montre (figure 6), il est nécessaire d’étudier les pratiques quotidiennes liées à l’alimentation pour comprendre les facteurs qui influencent les choix liés à l’alimentation. À travers ces choix, on peut alors constater que les messages commerciaux, nutritionnels ou encore environnementaux sont liés à la socialisation des enfants (mais également des adultes). Ce qui n’empêche pas des divergences en termes de préférence alimentaire. Plutôt que de prescrire des recommandations, le rôle de l’école pourrait plutôt être d’amener les élèves à se questionner sur l’alimentation et ainsi leur permettre d’avoir un regard éclairé sur leurs pratiques alimentaires quotidiennes (Kovacs & Orange-Ravachol, 2015 ; Orange-Ravachol, Kovacs & Orange, 2018 ; Kovacs & Orange-Ravachol, 2021).

Un dossier pédagogique édité par Bruxelles Environnement (2016) : « L’alimentation en classe. L’environnement au menu » propose des pistes pédagogiques qui ouvrent la réflexion sur l’alimentation dans ses différentes dimensions et qui tentent d’éviter les écueils prescriptifs.


Bibliographie

Goigoux, R. (1998). Sept malentendus capitaux. http://52.148.208.234/wp-content/uploads/2020/02/Les_7_Malentendus_capitaux_En_MaternelleV3.pdf

Kovacs, S. et Orange Ravachol, D. (2015). La pyramide alimentaire : permanence et mutations d’un objet polymorphe controversé. Questions de communication, 27, 129-149. https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/9720

Orange Ravachol, D., Kovacs, S. et Orange, C. (2018). Éducation nutritionnelle et acculturation scientifique : quelles circulations de normes et de savoirs dans les discours adressés aux jeunes ?. Éducation et socialisation, 48. http://journals.openedition.org/edso/2939

Ravachol, D. et Kovacs, S. (2021). Neutralité des enseignants et promotion de l’esprit critique : le cas de l’éducation à l’alimentation. Carrefours de l’éducation, 52, 77-93. https://www.cairn.info/revue–2021-2-page-77.htm.

Autres ressources :

Séquence sur l’alimentation produite par l’ASBL Hypothèse : https://sciencesencadence.be/magazine-13-manger-et-apres/

L’alimentation en classe. L’environnement au menu. Bruxelles – Environnement (2016) : https://goodfood.brussels/fr/contributions/lalimentation-en-classe-lenvironnement-au-menu


[1] Il est nécessaire de préciser qu’il existe des différences du point de vue des nutriments entre le jus de fruits et le fruit à partir duquel le jus est réalisé.